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Colloque – Luttes coloniales et décoloniales dans la France d’hier et d’aujourd’hui

Mis à jour le : 05/07/2023

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Les luttes décoloniales sont en partie le résultat de la manière dont s’écrit l’histoire coloniale. L’historien français Jean-Louis Triaud (spécialiste des sociétés musulmanes en Afrique saharienne et subsaharienne) nous rappelle en 2006 qu’au moment des indépendances et dans les années qui suivirent il y eut, surtout, en France, l’ouverture d’une période d’oubli, une volonté de tourner la page. Néanmoins, comme l’explique Emmanuelle Sibeud qui travaille sur l’historiographie du fait colonial, la perspective critique sur la domination coloniale existe, mais “les interrogations sur le passé colonial français sont formulées en termes de “tabous” et d’occultation coupables” (2006). Ainsi, cette historienne française en appelle-t-elle à “décoloniser l’histoire de la colonisation…et des pratiques scientifiques”.

L’histoire de la colonisation a trouvé un nouvel essor avec l’émergence des Colonial Studies au cours des années 1990, à partir de la notion de “situation coloniale” de Georges Balandier (1951). Quant aux Postcolonial Studies, développés lors des années 1980 dans le contexte postcolonial britannique, en Inde (et Asie du Sud), ils centrent en partie leurs travaux sur la critique des nationalismes et de l’Etat-nation comme construction coloniale, ainsi que sur les discours et les représentations. Selon le sémiologue argentin Walter Mignolo (2012), “la colonialité est comme l’inconscient chez Freud ou la plus-value chez Marx. On ne la voit pas, mais elle travaille”. La “colonialité du pouvoir” (colonialidad del poder), concept élaboré par le sociologue péruvien Anibal Quijano dans les années 1990 à partir des perspectives gramscienne et fanonienne – ainsi que du concept de “capitalisme racial” (racial capitalism) développé par Cédric Robinson en 1983 dans Black Marxism – se fonde sur “l’exploitation de la force de travail, la domination ethno-raciale, le patriarcat et le contrôle des formes de subjectivité (ou imposition d’une orientation culturelle eurocentriste)”. Aux côtés de la colonialité du pouvoir, existe la “colonialité du savoir” (colonialidad del saber) travaillée, entre autres, par le sociologue portoricain Ramón Grosfoguel et le philosophe colombien Santiago Castro-Gómez (2007) qui, dans l’ouvrage collectif “Le tournant décolonial” (El giro decolonial), s’intéressent à la “diversité épistémique” et cherchent à “décoloniser les sciences sociales et l’université”. Pour le sociologue vénézuélien Eduardo Lander (2000), “la colonialité du savoir est la dimension épistémique de la colonialité du pouvoir: le fait de hiérarchiser les modes de production des connaissances, c’est-à-dire la philosophie et la science occidentales comme paradigmes qui rendent subalternes d’autres connaissances”. La colonialité du pouvoir et du savoir ne vont pas sans la “colonialité de l’être” (colonialidad del ser) qui pour le philosophe portoricain Nelson Maldonado-Torres (2007), est “la dimension ontologique de la colonialité, à savoir, les effets de la colonialité dans l’expérience vécue des subalternes coloniaux et dans les secteurs dominants”. Enfin, la philosophe argentine María Lugones (2007) – inspirée par les travaux de Gloria Anzaldúa, féministe queer Chicana, auteure de Borderlands/La Frontera: The New Mestiza (1987) – a créé le concept de “colonialité du genre” (colonialidad de género) aussi appelé “système de genre colonial/moderne”, qui est “un système de genre binaire ou hétérosexuel dans lequel existent différentes hiérarchies de pouvoir. C’est à l’intérieur de ce système que l’homosexualité ou les identités transgenre ne sont pas reconnues”. Signalons également l’importance des travaux de la chercheuse nord-américaine en Cultural Studies, Catherine Walsh, sur les “pédagogies décoloniales” (2013) à partir des mouvements “indigènes” d’Amérique Latine et dans la perspective de l’ “interculturalité critique” depuis la “subalternité”.

Dans le cadre de ce colloque, nous nous plaçons dans la perspective de la “dé-colonialité” dont l’origine se trouve dans le “Tiers Monde” (conférence de Bandung, 1955), sans perdre de vue le fait que les rapports sociaux de classe exercent leur influence sur ces thèmes. Selon Mignolo (2011), la décolonialité “s’est déplacée au centre des débats internationaux dans le monde non-Européen” et “offre un sens de confort dont avaient principalement besoin les gens de couleur des pays en développement et les migrants”.

Dans un esprit transdisciplinaire, ce colloque sera consacré à l’analyse des mécanismes de domination coloniale et, aujourd’hui, de colonialité du pouvoir mise en oeuvre par la France, ainsi qu’aux résistances et luttes décoloniales initiées dans les années 1940 (à partir du massacre de Sétif en Algérie le 8 mai 1945) et aux formes de radicalisation revendiquée.

La ville du Havre et son histoire en tant que “port négrier” nous paraissent un lieu emblématique pour accueillir ce colloque. “La maison de l’armateur”, l’une des dernières empreintes du commerce colonial, nous rappelle sans cesse l’implication de la ville dans la traite négrière de l’esclavage. Sans parler de réparation ou d’effacement de mémoire volontaire ou involontaire (bombardements pendant la 2e guerre mondiale), la ville pourrait participer à une reconnaissance de son histoire dans toute sa diversité, à l’instar de Liverpool ou Bristol en Grande Bretagne et Nantes et Bordeaux en France. Ce colloque ouvrira des débats sur le passé et le présent d’une ville décoloniale, ce qui ne peut être que salutaire pour son image de ville ouverte sur l’avenir.

Comité scientifique :

– Zahra Ali, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)
– Paola Bacchetta, Université de Californie, Berkeley
– Hourya Bentouhami, Université Toulouse le Mirail
– Marc Bernardot, Université du Havre
– Sirma Bilge, Université de Montréal
– Audrey Célestine, Université Lille 3
– Jules Falquet, Université Paris Diderot
– Ramón Grosfoguel, Université de Californie, Berkeley
– Horia Kebabza, Université Toulouse le Mirail et Science Po. Toulouse
– Myriam Paris, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
– Martine Spensky, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand

Programme :

– 9h15
Discours d’ouverture – Sandeep Bakshi, Anouk Guiné et Françoise Vergès

– 9h30-12h15
Présidente de séance: Françoise Vergès, Chaire Global South(s), College d’Etudes mondiales, Fondation Maison des Sciences de l’Homme, Paris

  • Marc Bernardot, Université du Havre – Le modèle culturel français de l’altérité et la colonialité
  • Eric Saunier, Université du Havre – Le passé négrier des villes portuaires aux origines du préjugé colonial: l’exemple du Havre
  • Nacira Guénif Souilamas, Université Paris 8 – Issu-e-s de’ ou comment les luttes décoloniales se prennent les pieds dans le tapis de la maison du maître
  • Houria Bouteldja, Parti des Indigènes de la République, Race, classe, genre, une nouvelle divinité à trois têtes
  • Lesbiennes of Color – (LOCs), Pourquoi et comment mener une lutte non blanche
  • MWASI, Collectif afroféministeL’afro-féminisme pour lutter ensemble et s’aimer ensemble
  • João Gabriell – Auteur du blog Chronik de Nègre(s) Inverti(s), Les approches féministes, queer et trans ont-elles leur place dans une lutte décoloniale ?
  • Tarek Lakhrissi, Université de Montréal et Paris III – Sorbonne Nouvelle, Créations de récits: journal décolonial

– 12h30-13h30 : Débats

– 13h30-14h30 : Déjeuner

-14h30-17h00
Président de séance : Lô Gourmo Abdoul, Professeur en droit public international, Université du Havre, et avocat au barreau de Nouakchott, Mauritanie

  • Arnaud Le Marchand, Université du Havre – Recrutement et rationnement: la (re)construction des discriminations économiques d’une crise à l’autre
  • Myriam Hachimi Alaoui, Université du Havre – Immigration et condition d’ “intégration” (titre provisoire)
  • Béatrice Bourdelois, Université du Havre – Décolonisation, statut personnel et droits fondamentaux de la personne humaine
  • Nasima Moujoud, Université Pierre Mendès France Grenoble2 – Décoloniser la tradition
  • Hanane Karimi, Université de Strasbourg – Les femmes dans la mosquée: visibilité et résistance à la domestication
  • Nada Afiouni, Université du Havre – Du cimetière de ‘Sainte-Marie’ au cimetière de ‘Bléville’, la transformation des carrés musulmans au Havre
  • Nafissatou Fall et Danièle Bugeon, GAMS Haute-Normandie, Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles – L’histoire du GAMS au Havre, en particulier la prévention de l’excision et des mariages forcés

– Conférence de clôture: 17h00
Paola Bacchetta, Université de Californie, Berkeley – Xénophobie queerphilique, féminisme colonial et néo-libéralisation dans les représentations dominantes des sujets, de la pensée et de la pratique décoloniales en France aujourd’hui

– 17h30-18h30 : Débats

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